LA DECHEANCE DE LA NATIONALITE EN FRANCE
La décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 14 septembre 2022 relativement aux Françaises et leurs enfants détenus en Syrie et de leur rapatriement interpelle et se pose de nouveau la problématique de la déchéance de nationalité, procédure qui s’inscrit dans le droit de la nationalité.
¤ Définition - La déchéance de nationalité est une procédure afin de déchoir de la nationalité française un national.
HISTORIQUE
. la Constitution du 3 septembre 1791: la déchéance de nationalité apparaît en cas de « condamnation aux peines qui emportent la dégradation civique, tant que le condamné n’est pas réhabilité ».
. la Constitution du 6 messidor an I : elle ne prévoit pas la perte de la nationalité mais celle de « l’exercice des droits de citoyen » : « … par la condamnation à des peines infamantes ou afflictives, jusqu’à réhabilitation ».
. le décret d’abolition de l’esclavage en 1848 : il crée la procédure de déchéance de citoyenneté entendu qu’il déclare l’esclavage « crime de lèse-humanité » et « défend à tout Français de posséder, d’acquérir, de vendre des esclaves ou de participer même indirectement au trafic de chair humaine » sous peine de « la perte de la qualité de citoyen français ».
. guerre de 1914-1918
Les lois de guerre du 7 avril 1915 et du 18 juin 1917 prévoient la déchéance de nationalité -utilisation dans 549 cas. Ses principes intègrent la loi du 10 août 1927 sur la nationalité française.
Le Conseil d’État en vertu de la loi de 1927 refuse la réintégration dans la nationalité française de nombreuses femmes qui l’avaient perdu par leur mariage avec un étranger.
. guerre de 1939-1945
Un décret-loi du 9 septembre 1939 permet de déchoir de sa nationalité un Français de naissance s’il se conduit en « ressortissant d’une puissance étrangère » à l’instar de André Marty et Maurice Thorez, hommes politiques. En effet,, le Conseil d’État leur reproche leur soumission à l’URSS liée à l’Allemagne nazie par le pacte germano-soviétique.
Sous le régime de Vichy, le retrait de nationalité concerne 15 154 personnes. L’acte du 22 La loi de juillet 1940 soumet à révision les naturalisations survenues depuis le vote de la loi de 1927.
Le droit de Vichy permet aussi la déchéance de nationalité des Français se trouvant illégalement à l’étranger – ex : les dissidents gaullistes. Le décret du 8 déceùbre 1940 déchoit ainsi le général de Gaulle qui devient apatride. Autres exemples : les 110 000 Juifs algériens qui perdent collectivement la citoyenneté que leur avait attribuée en 1870 le décret Crémiex et redeviennent « indigènes ».
Le Comité français de Libération nationale, le 24 mai 1944, gouvernement provisoire de la France libre abroge l’acte du 22 juillet 1944 et les dénaturalisations survenues pendant la guerre sont annulées dans leur grande majorité.
Après la Libération, les collaborationnistes d’origine italienne ou allemande condamnés pour indignités perdent la nationalité française : 479 déchéances.
. La Constitution de la IVe République supprime l’indigénat.
. Loi du 22 juillet 1996 après les attentats de 1995 étend la déchéance aux personnes condamnées « pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme »
Le Conseil constitutionnel examinant cette loi considère « qu’au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ; que, toutefois, le législateur a pu, compte tenu de l’objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l’autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l’ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d'égalité ; qu’en outre, eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme, cette sanction a pu être prévue sans méconnaître les exigences de l’article 8 de la DDHC (1789)"
Et en 2015 il déclare le texte conforme à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.
. La Convention de New York 1961, signature de 42 pays : elle pose le principe selon lequel un Etat ne devrait plus pouvoir déchoir un citoyen de sa nationalité « si cette privation doit le rendre apatride » tout en ouvrant la possibilité si l’État a fait une déclaration spécifique sur le sujet. Ex de cas autorisés : « manque de loyalisme », « déclaration formelle d’allégeance à un autre Etat », ou s’il a manifesté de « façon non douteuse par son comportement sa détermination de répudier son allégeance envers l’État contractant ».
Le 31 mai 1962, la France signe la convention mais le gouvernement déclare « qu’il se réserve d’user, lorsqu’il déposera l’instrument de ratification de celle-ci, de la faculté qui lui est ouverte par l’article 8, paragraphe 3, dans les conditions prévues par cette disposition ».
. Convention européenne sur la nationalité de 1997 permet la déchéance de nationalité dans les cas prévus par la Convention, ex : si « préjudice grave aux intérêts essentiels de l’Etat ». Néanmoins, la Convention proscrit la privation de nationalité si elle aboutit à fair du sujet un apatride. L’article 5, alinéa 2, affirme qu’un Etat signataire « doit être guidé par le principe de non-discrimination entre ses ressortissants, qu’ils soient ressortissants à la naissance ou aient acquis sa nationalité ultérieurement ».
LE DROIT POSITIF
Le Code civil distingue la perte de nationalité (articles 23 et 23-9), de la déchéance de la nationalité française décidée par le pouvoir exécutif (articles 25 à 26).
. l'article 23-7 du Code civil
L’article 23-7 dispose que « le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du CE, avoir perdu la qualité de Français ».
Cette disposition est jugée conforme par le CE dans la décision Epoux Speter du 7 mars 1958 et dans la décision Sieur et dame Cornakowsky du 20 mars 1964.
. l'article 23-8 du Code civil
L’article 23-8 dispose que « perd la nationalité française le Français qui, occupant un emploi dans une armée ou un service public étranger ou dans une organisation internationale dont la France ne fait pas partie ou plus généralement leur apportant son concours, n’a pas résigné son emploi ou cessé son concours nonobstant l’injonction qui lui en aura été faite par le Gouvernement ».
. l'article 25 du Code civil
L’article 25 organise les conditions de la déchéance de la nationalité française, limitée aux Français naturalisés depuis moins de 10 ans ou 15 en cas de terrorisme en application de l’article 25-1.
« L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'État, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
S'il s'est livré au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. »
. le décret du 30 décembre 1993 en son article 61 régit la procédure : le ministre chargé des naturalisations doit notifier à l’intéressé les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de nationalité ; l’intéressé dispose d’un mois pour faire valoir ses observations ; à l’expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclaré par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d’État que l’intéressé est déchu de la nationalité française. Ce décret est susceptible de recours gracieux ou recours contentieux pour excès de pouvoir devant le CE.
Application -
En octobre 2015, 4 Franco-Marocains et un Franco-Turc sont déchus de la nationalité française après avoir écopé de peine allant de 6 à 8 ans de prison pour « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste » - liens avec le Groupe islamique combattant marocain responsable des attentats de Casablanca du 16 mai 2003 dans lesquels 45 personnes sont tuées dont 3 Français et une centaine blessées. Libérés en 2019 et 2010, déchus de la nationalité française, ils saisissent la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant le droit au respect de leur vie privée et familiale ainsi que le droit à ne pas être jugés ou punis deux fois pour les mêmes faits.
La CEDH valide la déchéance de nationalité : la déchéance de nationalité ne les rend pas apatrides puisqu’ils ont tous une autre nationalité et estime que la France ne viole pas les droits fondamentaux des cinq terroristes.
Dr LV