LES FONCTIONS DE L'ETAT
L'Etat est un instrument de contrainte - la fonction coercitive - et d'inculcation du bien-fondé de l'ordre social et politique existant - la fonction idéologique.
LA FONCTION COERCITIVE
¤ Problématique -
• selon Pactet, L'Etat a le devoir d'assurer la pérennité et la cohésion de la collectivité dont il constitue l'armature politique et juridique ; pour assurer cette fonction, L'Etat dispose de pouvoirs particuliers
• l'appareil d'Etat exprime un phénomène d'institutionnalisation de la contrainte : celle-ci n'est plus perceptible désormais sous la forme de manifestions de violence mais elle renvoie à un ordre de compétence
• l'Etat est né au moment où il est devenu la seule source légitime d'autorité et de violence physique : l'Etat est la centralisation et l'institution des moyens de contrainte remis au détenteur officiel du pouvoir
Duguit note que l'Etat se présente avant tout sous la forme de manifestations de contrainte par l'armée, la police, la justice, les prisons. La doctrine allemande du droit public, illustrée notamment par Gerber, Laband et Jellinek, dégage le concept de "Herrschaft" - puissance d'Etat - dont la version française de souveraineté ne donne qu'une notion appauvrie car dominer est le pouvoir de commander d'une façon absolue et avec une puissance de coercition irrésistible.
¤ Le pouvoir de commandement et de sanction -
• la puissance de l'Etat s'exprime par la norme juridique - l'existence des individus est conditionnée par les normes obligatoires posées par l'Etat car l'Etat est la source du droit; les normes définissent un cadre à l'intérieur duquel les individus peuvent agir librement ; le phénomène d'obéissance est respecté en raison de la crainte de l'emploi direct par l'Etat de la force coercitive
¤ Remarque -
La doctrine s'est posée la question de savoir qui de l'Etat ou du droit précède l'autre.
• le droit et l'Etat sont deux notions distinctes qui ne peuvent être envisagées indépendamment l'une de l'autre car le droit est un ordre de contrainte qui suppose l'existence d'un appareil capable d'assurer le respect de ses normes et l'Etat est ordre juridique qui n'existe que par le fait d'être une personne juridique
Kelsen a mis en évidence l'impossibilité de penser l'Etat autrement que comme étant un ordre juridique
• au sens large, l'Etat est l'ensemble des membres de cette collectivité qui sont tous soumis à l'ordre juridique qui la fonde
• au sens étroit, l'Etat est un appareil de fonctionnaires avec à sa tête le gouvernement ; c'est un ordre juridique partiel intégré à l'Etat au sens large composé d'institutions superposées ayant leur droit propre : le droit public
• la puissance étatique n'est pas une force mystique dissimulée derrière le droit, elle ne peut être saisie que par la norme juridique elle-même
• considérer l'Etat comme organisation politique équivaut à le poser comme ordre de contrainte puisque l'élément spécifique de l'Etat réside dans la possibilité détenue par certains individus d'exercer la contrainte légale contre d'autres individus
= la puissance de l'Etat n'est rien d'autre que "l'efficacité de l'ordre juridique étatique"
• l'Etat est une personne juridique : cet attribut fait de l'Etat un sujet de droit, il est donc habilité à exercer une activité juridique, à savoir comme tout individu, jouir de certains droits et se soumettre à certaines obligations - exercice par l'intermédiaire de personnes représentant l'Etat
. l'Etat-personne est une fiction construite par le droit - Léon Duguit "Je n'ai jamais déjeuné avec une personne morale"
• l'Etat a une particularité qui le différencie des autres personnes juridiques individuelles ou morales
. le pouvoir d'Etat est exercé selon des formes juridique : c'est un pouvoir de droit par opposition à un pouvoir de fait - formalisme procédurale
¤ Les appareils de contrainte -
l'exécution de la norme est garantie par l'intervention d'appareils de contrainte chargés de réprimer les manquements, clef de voûte de l'ordre social
¤ Remarque -
la dénomination de ces appareils est considérée différemment
. les libéraux (la théorie de l'Etat-gendarme) : appareils exprimant la "souveraineté"
. les marxistes : appareils "répressifs"
¤ Typologie des appareils de contrainte -
• l'armée et la police expriment la force physique de l'Etat - en général, elles sont placées sous les ordres du pouvoir civil ; spécialisation des tâches
• la justice et les prisons : l'exercice de la sanction - punition
Foucault dans Surveiller et punir distingue trois modalités du pouvoir de châtier
. dans le droit monarchique, la punition est un "cérémonial de souveraineté" : la force physique du souverain s'abat sur le corps de son adversaire = admission du supplice judiciaire
. la Révolution française voit l’apparition d'une nouvelle forme de châtiment
la réforme pénale vise à réaménager le pouvoir de punir selon des modalités qui majorent ses effets en diminuant son coût économique
le droit de punir est déplacé de la vengeance du souverain à la défense de la société
. le projet d'institutions carcérales qui s'est imposé dans les Etats modernes : la punition devient une technique de coercition des individus
¤ La situation de monopole -
• le pouvoir d'Etat implique l'idée de monopole
• Max Weber démontre que ce qui distingue l'Etat des autres groupements politiques, c'est le monopole de la violence légitime : il est seul habilité à faire usage de la force selon les modalités fixées par l'ordre juridique
• le monopole public sur la contrainte n'entraîne pas la gestion monolithique de celui-ci (les appareils de contrainte sont organisés selon des préoccupations stratégiques et politiques ; les appareils sont en général spécialisés dans une tâche précise - le maintien de l'ordre, la sanction, la défense du territoire national… - tâche qui fait l'objet d'une définition stricte excluant toute possibilité de débordement).
LA FONCTION IDEOLOGIQUE
La cohésion sociale peut être préservée par des moyens plus efficaces que la contrainte qui laisse subsister les racines profondes des conflits. Le rôle de l'Etat est aussi de prévenir les conflits en imprégnant dans les esprits la croyance dans le bien-fondé de l'ordre social et politique existant.
• l'appareil d'Etat contribue à la production d'idées, d'images et de croyances destinées à légitimer le système de domination existant et de nature à justifier son institution
• une idéologie ne peut réussir que si elle mobilise des idées déjà présentes au moins à l'état virtuel dans la psychologie individuelle
¤ Définition - l'idéologie est l'ensemble des idées philosophiques, sociales, politiques, morales et religieuses propres à une époque et à un groupe social ; elle se distingue de simples représentations ou valeurs par son caractère élaboré et sa cohérence relative
• elle exprime et formule des thèmes idéologiques
• elle trie les thèmes idéologiques, les codifier, les normalise
• elle dépend de divers facteurs -
. l'abstraction - générale et imprécise : chacun y trouve ce qu'il veut y trouver
. le fonds commun de représentations facilite sa pénétration dans la conscience collective
. la cristallisation d'un certain nombre d'aspirations sociales
• elle tend à opacifier le réel et à lui substituer une représentation imaginaire
Application -
• l'idéologie se traduit matériellement par certains types d'actes, de conduites, de comportements insérés dans des pratiques cohérentes
• la dimension politique
. le système de représentations : l'idéologie constitue des modèles de comportement qui se traduisent par des attitudes politiques
. le système d'action : l'idéologie est une arme dans le combat politique destinée à conquérir ou à conserver le pouvoir
• la dimension sociale
. pour les marxistes, l'idéologie est une superstructure : elle trouve son origine dans les rapports matériels de production et elle est la conscience que les individus ont des rapports juridico-politiques
. conséquences : l'idéologie est aliénante car elle constitue la représentation imaginaire que les individus se font de leurs conditions réelles d'existence - celle-ci est nécessairement déformée du fait de l'exploitation et de la domination de classe - et contribue de ce fait à maintenir la cohésion et l'unité d'une formation sociale
• la légitimation du système de domination existant
l'ordre social apparaît non plus comme le résultat d'un affrontement entre groupes sociaux mais comme l'expression d'une nécessité objective imposée par la vie en société: l'intérêt général prédomine sur les intérêts particuliers
¤ Remarques -
• la mobilisation contre un ennemi extérieur - le bouc émissaire - est plus facile car la désignation d'un ennemi a toujours constitué le principal facteur de cohésion sociale – toute société est avant tout "une société de défense" selon l'expression de Marcuse
• la mobilisation sur le plan interne doit démontrer la capacité du système à assurer un juste équilibre entre les intérêts des divers groupes sociaux et l'intérêt général :l'idéologie vise à dépasser les particularismes et à rassembler tous les membres de la société autour d'un projet collectif désigné
¤ Définition - l'autorité des gouvernants repose sur la croyance qui fonde et justifie son existence afin de s'assurer l'adhésion spontanée des administrés
¤ Problématique -
le problème de la légitimité du pouvoir se pose dans tous les systèmes politiques
Application - Max Weber fait une distinction entre
• le "pouvoir" (la capacité d'induire l'adhésion aux ordres), la "légitimation" (l'acceptation du pouvoir comme correspondant aux valeurs admises par le sujet) et "l'autorité" (le pouvoir considéré comme légitime)
• il considère que l'obéissance au pouvoir peut être fondée sur trois grands principes : l'autorité qui provient de la tradition, des coutumes ; l'autorité peut être d'ordre charismatique, à savoir, fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu qui concentre en sa personne la puissance et la justification même de cette puissance ; l'autorité qui s'impose en vertu de la légalité, à savoir de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une compétence positive fondée sur des règles établies rationnellement
¤ Remarques -
• de facto, les valeurs sociales légitimant l'appareil d'Etat sont des valeurs de survie et
d'intégration
• le concept de domination : l'intérêt général
l'idéologie de l'intérêt général vise à obtenir l'adhésion au pouvoir - dépourvue de contenu essentiel, la notion d'intérêt général procède par postulats et affirmations et pourrait se définir comme un mythe nécessaire au pouvoir politique
• l'Etat doit agir en vue de l'intérêt général : l'intérêt général apparaît donc comme le
fondement de l'autorité
• l'Etat apparaît dès lors comme le véritable centre d'impulsion capable de concevoir et mener une stratégie cohérente car l'intérêt général se transforme en un attribut du pouvoir d'Etat, seul capable de définir un intérêt collectif transcendant les intérêts particuliers
DR LV